dimanche 5 août 2012


osophe occidental
Description de cette image, également commentée ci-après
Raymond Aron en 1966
Naissance14 mars 1905 (Paris, France)
Décès17 octobre 1983 (Paris, France)
École/traditionLibéralisme
Principaux intérêtsphilosophie, sociologie, science politique
Œuvres principalesL'Opium des intellectuels, Dix-huit leçons sur la société industrielle, Démocratie et totalitarisme, Les Étapes de la pensée sociologique, Paix et guerre entre les nations, Mémoires. 50 ans de réflexion politique
Influencé parKant, Hegel, Tocqueville, Marx, Alain, Léon Brunschvicg, Élie Halévy, Hannah Arendt
A influencéHenry Kissinger, Nicolas Baverez,








Raymond Claude Ferdinand Aron, né le 14 mars 1905 à Paris et mort le 17 octobre 1983 à Paris, est un philosophe, sociologue, politologue et journaliste français, défenseur du libéralisme.

D'abord ami et condisciple de Jean-Paul Sartre et Paul Nizan à l'École normale supérieure, il devient lors de la montée des totalitarismes un promoteur ardent du libéralisme, à contre-courant d'un milieu intellectuel pacifiste et de gauche alors dominant.
Pendant trente ans, il est éditorialiste au quotidien Le Figaro. Durant ses dernières années, il travaille à L'Express. Grâce à des compétences et des centres d'intérêt multiples – en économie, sociologie, philosophie, géopolitique – il se distingue et acquiert une grande réputation auprès des intellectuels. Ses convictions libérales et atlantistes lui attirent de nombreuses critiques, venant des partisans de la gauche, comme de ceux de la droite.
Raymond Aron dénonce dans son ouvrage le plus connu, L'Opium des intellectuels, l'aveuglement et la bienveillance des intellectuels à l'égard des régimes communistes. Il garde néanmoins tout au long de sa vie un ton modéré. Il est un commentateur reconnu de Karl Marx, Carl von Clausewitz, Kojève et Sartre.
Il est le père de Dominique Schnapper, sociologue, membre du Conseil constitutionnel de 2001 à 2010.

Sommaire

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Famille[modifier]

Raymond Aron est issu d'une famille juive et d'un milieu plutôt aisé des deux côtés. Son grand-père maternel possédait une usine de textile dans le nord du pays[1]. Sa famille paternelle venait de Lorraine où elle était établie depuis la fin du XVIII° siècle[2]. Le grand-père paternel, Ferdinand, était grossiste en textile à Rambervillers puis Nancy (Lorraine)[2], le frère de ce dernier s'appelait Paul et était le père de Max Aron (célèbre biologiste de Strasbourg). Signe extérieur de richesse : sa grand-mère paternelle avait une voiture avec chauffeur. Ferdinand, le grand-père paternel, prédit à Raymond à sa naissance une grande carrière[2]. Son père refusa de prendre la suite de l'affaire familiale et fit de brillantes études de droit[1] ; il publia des travaux juridiques, mais n'étant reçu que deuxième à l'agrégation de droit à une époque où un seul poste était attribué, il abandonna l'agrégation et revit à la baisse ses ambitions en devenant professeur de droit à l'École normale supérieure d'enseignement technique[1]. Au début du siècle il arrêta de travailler, vivant aisément du legs familial[3]. La famille s'était fait construire une maison à Versailles en 1913-1915 avec court de tennis[2]. Après la guerre il investit en bourse ; la famille avait alors une cuisinière et une femme de chambre[3]. En 1922 les parents revinrent vivre à Paris, puis retournèrent à Versailles avant de vendre la maison[4]. Mais la fortune fut perdue pendant la crise de 1929[5] et le père fut obligé de reprendre le travail[5]. Le père mourut peu de temps après (1934) d'une crise cardiaque[5][6]. La mère mourut en juin 40 à Vannes[7].
Cette fortune a permis à Raymond et ses 2 frères de bien vivre et de faire de bonnes études. Le passe-temps de la famille était le bridge et le tennis[2]. Le frère aîné, Adrien (1902-1969), était aussi doué que les autres à l'école (lycée Hoche, hypotaupe, licence de droits)[5], mais il était plus attiré par une vie facile : il devint un grand joueur de tennis et un grand joueur de bridge, menant une vie de flambeur, à l'opposé de Raymond et au grand dam de son père[8]. Avant d'avoir Adrien, la mère a accouché d'un mort-né, ce qui la marqua fortement. Avant d'avoir Raymond, sa mère attendait une fille, c'est pourquoi Raymond a toujours été traité comme une fille dans sa famille[8]. Après Raymond vint le petit dernier Robert. Lui aussi fit de brillantes études, obtint une licence de droit et de philosophie, publia une étude philosophique sur Descartes et Pascal, fit son service militaire, puis entra dans l'administration de la Banque de Paris et des Pays-Bas (futur BNP-Paribas) grâce à Raymond qui jouait régulièrement au tennis avec son directeur[7].

Études[modifier]

Il étudie au Lycée Hoche à Versailles où il obtient son baccalauréat en 1922. Puis il entre en Khâgne au Lycée Condorcet à Paris en octobre 1922 jusqu'en 1924[9]. En 1924 il entre à la prestigieuse École normale supérieure, rue d'Ulm, en classe de philosophie. Ses camarades sont alors Paul Nizan, Georges Canguilhem et Jean-Paul Sartre. Paul Nizan est plus qu'un camarade pour lui, c'est un véritable ami, au moins pendant ses années à l'ENS. Il admire aussi bien Paul Nizan que Jean-Paul Sartre pour leur intelligence ; il juge le premier meilleur écrivain (il admire Aden Arabie mais aime moins Les chiens de garde[10]), le second meilleur philosophe[11]. Il est alors influencé par les idées pacifistes du philosophe Alain, influence dont il se détachera à partir des années 1930. Engagé politiquement, il milite quelque temps à la SFIO[12]. En 1927, il signe avec ses condisciples la pétition (parue le 15 avril dans la revue Europe) contre la loi sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre, qui abroge toute indépendance intellectuelle et toute liberté d’opinion. Son nom côtoie ceux de Alain, Lucien Descaves, Louis Guilloux, Henry Poulaille, Jules Romains, Séverine
En 1928, il sort de l'ENS pour passer avec succès l'Agrégation de philosophie, étant reçu 1er ; Sartre est recalé dès l'écrit la même année, avant d'être à son tour reçu 1er l'année suivante, et avec un total de points supérieur à Aron l'année précédente[13]. Emmanuel Mounier est second. Aron se rend à partir de 1930 en Allemagne où il étudie un an à l'université de Cologne, puis de 1931 à 1933 à l'université de Berlin. Il observe alors la montée du totalitarisme nazi, phénomène qu'il relate dans ses Mémoires.

Carrière professionnelle[modifier]

Il revient en France en 1933, tandis que Sartre prend sa place à Berlin. Il enseigne un an la philosophie au lycée du Havre (le lycée François-Ier, où Sartre lui succèdera également) puis vit à Paris jusqu'en 1940. Il est alors secrétaire du centre de Documentation sociale de l'École normale supérieure et professeur à l'École normale supérieure d'enseignement primaire à Paris.
Il obtient en 1938 son doctorat ès-Lettres et écrit une Introduction à la philosophie de l'histoire ainsi qu'un essai sur la théorie de l'histoire dans l'Allemagne contemporaine. En 1939, il est maître de conférences en philosophie sociale à la Faculté des Lettres de Toulouse, avant d'être mobilisé dans l'armée française.
Le 24 juin 1940, il embarque sur un navire britannique transportant une division polonaise, le « H.M.S. Ettrick », à Saint-Jean-de-Luz et il rejoint Londres où il reste jusqu'en 1945. Brièvement engagé dans les Forces françaises libres, il devient rédacteur de La France Libre, une revue créée par André Labarthe, indépendante de la France libre et souvent critique vis-à-vis du Général de Gaulle. En 1944 le doyen de l'université de Bordeaux lui propose la chaire de sociologie, mais il refuse car il veut s'orienter vers le journalisme (il regrettera ce choix plus tard)[14].
Une fois la guerre achevée, il s'installe à Paris et devient professeur à l'École nationale d'administration de Paris entre 1945 et 1947. Puis, de 1948 à 1954, il est professeur à l'Institut d'études politiques de Paris. Il est chargé d'enseignement dès 1955 puis, à partir de 1958, professeur à la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Paris ; directeur d'études à l'École pratique des hautes études de 1960 à 1983 ; professeur de sociologie de la culture moderne au Collège de France à Paris de 1970 à 1983.
En 1978, il fonde avec Alain Ravennes le CIEL (Comité des intellectuels pour l'Europe des libertés) et avec l'aide de Jean-Claude Casanova, il crée la revue Commentaire. Un Centre d'études de philosophie politique porte le nom de Centre Raymond-Aron à l'École des hautes études en sciences sociales, boulevard Raspail à Paris (EHESS).

Journalisme[modifier]

Suite à son expérience de rédaction dans la revue La France libre et Combat, il se lance après guerre dans le journalisme, qu'il ne quittera pas jusqu'en 1983. Cette même année 1945, il fonde avec Sartre la revue Les Temps modernes. De 1946 à 1947, il collabore à Combat, avec Albert Camus.
En 1947, en désaccord avec Sartre, Raymond Aron quitte la rédaction des Temps Modernes et rejoint Le Figaro comme éditorialiste, poste qu'il occupe jusqu'en 1977. De 1965 à 1966, il est président de la société des rédacteurs. De 1975 à 1976, il est membre du Directoire de la société. De 1976 à 1977, il est directeur politique du journal.
Il quitte le journal en 1977 et rejoint le journal L'Express comme président du comité directeur, poste qu'il occupe jusqu'à sa mort en 1983. Parallèlement, il est chroniqueur à la radio Europe numéro 1 de 1968 à 1972.
Le 17 octobre 1983, il meurt d'une crise cardiaque en quittant le Palais de Justice de Paris après avoir témoigné en faveur de Bertrand de Jouvenel lors du procès qui oppose ce dernier à Zeev Sternhell[15].

L'engagement politique[modifier]

Élève à Normale supérieure, Raymond Aron s'inscrit au Parti socialiste SFIO[16]. Séjournant à Berlin, Aron assiste aux autodafés organisés par le régime nazi en mai 1933. Cette catastrophe politique lui inspire une profonde aversion pour les régimes totalitaires, qu'il ne cessera de dénoncer dans ses écrits. Ses convictions de gauche, pacifistes et socialistes, évoluent. En 1938, il participe au colloque Walter Lippmann, qui réunit des intellectuels et économistes libéraux venus débattre à Paris de l'avenir de la démocratie face au totalitarisme.
Mobilisé en septembre 1939 dans un poste météorologique des Ardennes, il rejoint Bordeaux pendant la débâcle. Séparé de son détachement début juin pour aller voir sa mère mourante à Vannes, il le retrouve brièvement à Toulouse où il décide de gagner l'Angleterre pour s'engager auprès du général de Gaulle. Il part à Bayonne et embarque à Saint-Jean-de-Luz pour l'Angleterre, le 23 juin 1940. Sur le bateau, L'Ettrick, un transatlantique britannique transportant une division polonaise, il fait la rencontre de René Cassin[17]. À Londres, il s'engage dans les Forces françaises libres et retrouve Robert Marjolin, qui travaille pour Jean Monnet. Il adopte une opinion paradoxale à propos de Pétain : bien que le choix de celui-ci mise de fait sur la victoire de l'Allemagne nazie, il indique également que la décision a le mérite d'avoir épargné le sang et les camps de travail à des millions de Français ; de plus il n'accorde pas un soutien sans faille à de Gaulle, dont il redoute le césarisme. Au Reform Club, il fait la connaissance de Lionel Robbins et de Friedrich Hayek[18]. Envoyé à Aldershot, il est brièvement engagé dans la 1re compagnie des chars de combat, au sein des Forces françaises libres, où il est affecté aux écritures. Le 22 juillet, il rencontre à Carlton Gardens André Labarthe, qui le convainc d'abandonner son unité, en août, quelques jours avant l'embarquement pour l'opération Menace, pour devenir rédacteur en chef de la revue La France Libre (Londres), qu'il est en train de créer. Il écrit sous le nom de René AVORD. Son premier article s'intitule « Le machiavélisme, doctrine des tyrannies modernes[19] ». En 1943, l'article « L'ombre des Bonaparte », paru dans La France libre, est considéré comme une attaque contre le chef de la France combattante[20], qui ne se voit pas sans agacement comparé à Badinguet[21].
Dans ses Mémoires[22], il écrit : « Dans mon milieu, imprégné de hégélianisme et de marxisme, l’adhésion au communisme ne faisait pas scandale, l’adhésion au fascisme ou au PPF était simplement inconcevable. De tous, dans ce groupe, j’étais le plus résolu dans l’anticommunisme, dans le libéralisme, mais ce n’est qu’après 1945 que je me libérai une fois pour toutes des préjugés de la gauche. » Il conçoit néanmoins pour le philosophe Karl Marx une admiration qui n'a d'égale que son mépris pour le courant « marxiste-léniniste ».
Le paradoxe est bien le maître-mot de cet intellectuel controversé, qui développe un sens critique toujours en éveil face au politique. À la Libération, il accepte un poste de conseiller au Ministère de l'Information, dirigé par André Malraux. Il s'engage au sein du RPF dès 1947[23] et anime la revue intellectuelle du Rassemblement, La Liberté de l'esprit.
Dénonçant dans les années 1950-60 le « conformisme marxisant » de l'intelligentsia française, il devient l'intellectuel de droite de l'époque, face à Sartre qui symbolise l'intellectuel de gauche. Ils se rejoindront bien plus tard, en 1979, pour déplorer le sort réservé aux boat people fuyant le régime communiste vietnamien sur la mer de Chine, dans des embarcations de fortune. Dans l'Opium des intellectuels paru en 1955, il traite des « mythes » que constituent à ses yeux la révolution ou le prolétariat, écrivant notamment : « La fin sublime excuse les moyens horribles. Moraliste contre le présent, le révolutionnaire est cynique dans l’action, il s'indigne contre les brutalités policières, les cadences inhumaines de la production, la sévérité des tribunaux bourgeois, l'exécution de prévenus dont la culpabilité n'est pas démontrée au point d'éliminer tous les doutes. Rien, en dehors d'une "humanisation" totale, n'apaisera sa faim de justice. Mais qu'il se décide à adhérer à un parti aussi intransigeant que lui contre le désordre établi, et le voici qui pardonnera, au nom de la Révolution, tout ce qu'il dénonçait infatigablement. Le mythe révolutionnaire jette un pont entre l'intransigeance morale et le terrorisme. (...) Rien n'est plus banal que ce double-jeu de la rigueur et de l'indulgence. »
Esprit indépendant, il n'hésite pas à prendre le contre-pied d'une partie de la droite : ainsi, il préconise de renoncer à une Algérie française dès avril 1957 (La Tragédie algérienne[24]) et se rallie à l'indépendance de l'Algérie avant 1962; il s'oppose à la politique anti-atlantiste du Général de Gaulle après 1966. Il soutient Georges Pompidou, puis Valéry Giscard d'Estaing, et combat François Mitterrand après 1981.

Aron et la CIA[modifier]

En juin 1950, à Berlin, est fondé le Congrès pour la liberté de la culture. Jusqu'en 1967, année de la révélation du financement de cette organisation par la CIA, Aron, co-fondateur, est membre suppléant de son comité exécutif. La revue Preuves, elle aussi secrètement financée par la C.I.A, est une tribune pour Aron[25]. Dans ses Mémoires, il affirme avoir ignoré le financement par la CIA, et souligne qu'il ne l'aurait probablement pas toléré s'il l'avait su ; toutefois, il ne veut pas renier sa participation, et oppose la liberté dont il profitait à l'obéissance servile des membres des organisations communistes[26]. Dit-il toute la vérité dans ses Mémoires ? Le général De Gaulle le tenait pour un agent américain[réf. nécessaire] ; Aron était invité à l'université Harvard pour donner un cours, et était payé en retour 10.000 $[27]. En 1966 De Gaulle s'oppose à sa nomination au Comité des 12 sages[27].

La pensée philosophique[modifier]

Raymond Aron, « spectateur engagé », a tenté de concilier l'étude et l'action tout au long de sa vie.
Il écrit ainsi, au sujet de Max Weber, sociologue allemand dont il s'inspira : « On ne peut être en même temps homme d’action et homme d’études, sans porter atteinte à la dignité de l’un et de l’autre métier, sans manquer à la vocation de l’un et de l’autre. Mais on peut prendre des positions politiques en dehors de l’université, et la possession du savoir objectif, si elle n’est peut-être pas indispensable, est à coup sûr favorable à une action raisonnable[28]". Plus loin, on trouve cette déclaration, tout aussi ambiguë : « Max Weber interdisait au professeur de prendre parti dans les querelles du Forum, à l’intérieur de l’université, mais il ne pouvait pas ne pas considérer l’action, au moins par la parole ou par la plume, comme l’aboutissement de son travail[29]. »

Aron et Marx[modifier]

Aron a longtemps étudié et enseigné, notamment à la Sorbonne, Karl Marx. Il l'estime, mais réfute ce qu’il considère être « ses prophéties ». Marxologue reconnu, il se qualifiait volontiers, non sans ironie, de « marxien ».
« Je suis arrivé à Tocqueville à partir du marxisme, de la philosophie allemande et de l'observation du monde présent […]. Je pense presque malgré moi prendre plus d'intérêt aux mystères du Capital qu'à la prose limpide et triste de la Démocratie en Amérique. Mes conclusions appartiennent à l'école anglaise, ma formation vient de l'école allemande », a-t-il écrit. Tout cela parce que « j'ai lu et relu les livres de Marx depuis 35 ans[30]. »
Le marxisme est présenté par Aron succinctement dans Dix-huit leçons sur la société industrielle, de manière un peu plus développée dans Les étapes de la pensée sociologique, et dans un ouvrage publié à titre posthume, Le Marxisme de Marx.

Aron et le totalitarisme[modifier]

Rejoignant la théorie d'Hannah Arendt sur le totalitarisme, il en propose la définition opératoire suivante :
« Il me semble que les cinq éléments principaux sont les suivants :
  1. Le phénomène totalitaire intervient dans un régime qui accorde à un parti le monopole de l'activité politique.
  2. Le parti monopolistique est animé ou armé d'une idéologie à laquelle il confère une autorité absolue et qui, par suite, devient la vérité officielle de l'État.
  3. Pour répandre cette vérité officielle, l'État se réserve à son tour un double monopole, le monopole des moyens de force et celui des moyens de persuasion. L'ensemble des moyens de communication, radio, télévision, presse, est dirigé, commandé par l'État et ceux qui le représentent.
  4. La plupart des activités économiques et professionnelles sont soumises à l'État et deviennent, d'une certaine façon, partie de l'État lui-même. Comme l'État est inséparable de son idéologie, la plupart des activités économiques et professionnelles sont colorées par la vérité officielle.
  5. Tout étant désormais activité d'État et toute activité étant soumise à l'idéologie, une faute commise dans une activité économique ou professionnelle est simultanément une faute idéologique. D'où, au point d'arrivée, une politisation, une transfiguration idéologique de toutes les fautes possibles des individus et, en conclusion, une terreur à la fois policière et idéologique. (…) Le phénomène est parfait lorsque tous ces éléments sont réunis et pleinement accomplis[31]. »

Aron et les relations internationales[modifier]

Aron est un théoricien des relations internationales. Il est fortement influencé par Clausewitz et Max Weber.
Pour Aron, les relations internationales sont spécifiques et distinctes de la politique interne aux États. Dans les relations internationales, il y a « légitimité et légalité du recours à la force armée de la part des acteurs » : « Max Weber définissait l'État par le monopole de la violence légitime. Disons que la société internationale est caractérisée par l'absence d'une instance qui détienne le monopole de la violence légitime. » (Qu'est-ce qu'une théorie des relations Internationales ? RFSP 1967)
Il considère qu'il ne peut y avoir de théorie générale des relations internationales, et refuse la conception causale (explicative) pour choisir une conception compréhensive à travers l'analyse sociologique des buts que peuvent poursuivre les États. C'est cette « praxéologie » des relations internationales qu'Aron tentera d'élaborer dans Paix et guerre entre les nations (1962).
Chaque État peut recourir à la guerre pour trois raisons :
  • la puissance ;
  • la sécurité ;
  • la gloire.
Aron définit les systèmes internationaux comme des « ensembles d'unités en interactions régulières susceptibles d'être impliquées dans une guerre générale ». « La caractéristique d'un système international est la configuration des rapports de force ».
Il faut distinguer les systèmes multipolaire et bipolaire.
Il faut distinguer les systèmes homogènes (ceux dans lesquels les États appartiennent au même type, obéissent à la même conception du politique), et les systèmes hétérogènes (ceux dans lesquels les États sont organisés selon des principes autres et se réclament de valeurs contradictoires).
En effet, la conduite d'un État n'est pas commandée par le seul rapport de force. Les intérêts nationaux ne peuvent pas être définis sans tenir compte du régime intérieur d'un État, de son idéal politique. Le système international est déterminé par des valeurs qui existent au sein des États, et ces valeurs influencent la stabilité du système. Aron s'inscrit ici dans la tradition du réalisme "classique" en relations internationales, celui de Carr, Hans Morgenthau ou Kissinger. Cette orientation sera remise en cause lors de l'avènement des théories systémiques comme le néo-réalisme de Kenneth Waltz (Theory of international politics, 1979).
La contribution de Raymond Aron à la théorie des relations internationales est originale. Si une interprétation conventionnelle de Paix et guerre entre les nations place Aron dans la catégorie des auteurs réalistes, avec Edward Hallett Carr, Hans Morgenthau, ou encore Henry Kissinger qui revendique l'influence de Aron[32], il faut remarquer que sa conception des relations internationales est assez différente de celles de ces auteurs. En effet Aron s'inscrit dans une tradition libérale, et non dans la Realpolitik : il insiste sur l'importance des considérations morales dans les relations internationales. De plus, il n'adhère pas au matérialisme de l'école réaliste, puisqu'il souligne le rôle essentiel des valeurs et des normes, de l'idéologie (pour le réalisme classique, les relations internationales se caractérisent par l'anarchie, l'état de nature tel que décrit par Thomas Hobbes : un état pré-social où il ne peut exister de valeurs ou de normes en l'absence d'arbitre souverain). Mais Aron n'est pas plus un libéral idéaliste qu'un réaliste classique : il critique en effet tout autant Morgenthau que l'idéalisme de l'entre-deux-guerres.
Il est donc difficile de classer Aron dans une école particulière, puisque sa pensée même est hostile à une telle catégorisation. Des similitudes remarquables existent cependant entre la pensée d'Aron et l'École anglaise (représentée principalement par Hedley Bull) : dans les deux cas, les institutions communes, les valeurs et les normes sont reconnues comme la marque de l'existence d'une « société internationale » qui bien qu'anarchique possède un certain degré de régulation dans les relations entre ses membres.

L'influence d'Aron[modifier]

De nombreuses figures ont suivi son enseignement : Jean Baechler, Alain Besançon, Raymond Boudon, Pierre Bourdieu, Jean-Claude Casanova, Julien Freund, André Glucksmann, Pierre Hassner, Stanley Hoffmann, Henry Kissinger, Pierre Manent, Jean-Claude Michaud, Albert Palle, Kostas Papaioannou, Jean-Jacques Salomon.
D'autres figures ont été marquées par la pensée d'Aron : Raymond Barre, Nicolas Baverez, Yves Cannac, Luc Ferry, Marc Fumaroli, François Furet, Claude Imbert, Marcel Gauchet, Annie Kriegel, Claude Lefort, Henri Mendras, Jean-François Revel, Guy Sorman.
La plupart de ces figures participent ou ont participé à la revue Commentaire, qui peut être qualifiée de revue aronienne. À travers elle, existe ainsi une école de pensée aronienne, d'un libéralisme tempéré, teinté de conservatisme, tourné vers le monde anglo-saxon.
Il a également été, avec François Furet, l'un de ceux qui ont contribué à faire redécouvrir Alexis de Tocqueville, auquel il consacre un chapitre dans Les Étapes de la pensée sociologique (1967).

Œuvres[modifier]

Envoi de R. Aron à Maurice Halbwachs sur La Sociologie allemande contemporaine, Paris, Alcan, 1935.
Ouvrage conservé à la Bibliothèque de sciences humaines et sociales Paris Descartes-CNRS.
Les œuvres complètes de Raymond Aron ont été établies par Perrine Simon et Elisabeth Dutartre, aux Éditions Julliard/Société des Amis de R. Aron en 1989.


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Karl R. Popper
Philosophe occidental
Description de l'image  Karl Popper.jpg.
Naissance25 juillet 1902 (Vienne)
Décès17 septembre 1994 (Londres)
École/traditionPhilosophie analytique, libéralisme
Principaux intérêtsPhilosophie des sciences, épistémologie, logique, mathématiques, physique, théorie de l'évolution, philosophie politique
Idées remarquablesRéfutabilité, société ouverte, épistémologie évolutionniste
Œuvres principalesLogique de la découverte scientifique, La société ouverte et ses ennemis, La connaissance objective, Conjectures et Réfutations, Le Réalisme et la science
Influencé parSocrate, Xénophane, Carnéade, Kant, Bolzano, Frege, Russell, Einstein, Carnap, Hayek, Tarski, Lorenz, Brouwer, Darwin
A influencéHayek, Lakatos, Feyerabend, Soros, Gombrich, Schmidt, Lorenz, Medawar, Albert
Sir Karl Raimund Popper (28 juillet 1902 à Vienne, Autriche - 17 septembre 1994 à Londres (Croydon), Royaume-Uni) est l'un des plus influents

philosophes des sciences du XXe siècle. Il critique la théorie vérificationniste de la signification et invente la réfutabilité comme critère de démarcation entre science et pseudo-science. Rejetant d'abord la métaphysique comme système irréfutable et invérifiable, il admet par la suite la nécessité de fonder les recherches scientifiques sur des « programmes de recherche métaphysique » et inscrit son propre travail dans le cadre de l'épistémologie évolutionniste.

Sommaire

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Biographie[modifier]

Karl Popper est né de parents juifs convertis au protestantisme. Il commence sa vie active comme apprenti ébéniste.
Puis il étudie à l'Université de Vienne. Il adhère un temps au Parti social-démocrate d'Autriche (à l'époque marxiste). Il devient enseignant au Lycée en mathématiques et physique. Il côtoie le Cercle de Vienne (néopositiviste), qui le fit connaître, mais sans jamais y entrer. Sa pensée fut influencée par ses lectures de Frege, Tarski et Carnap.
En 1936, il donna des conférences en Grande-Bretagne, où il rencontra ses compatriotes Hayek et Gombrich. En 1937, il accepta une proposition de conférencier (lecturer) à Christchurch en Nouvelle-Zélande, où il resta le temps de la Seconde Guerre mondiale.
Début 1946, il revint s'installer à Londres. Sur une proposition de Hayek, il devint professeur à la London School of Economics. Il y fonda en 1946 le département de logique et de méthodologie des sciences[1]. Il participa également à de nombreux séminaires et conférences dans d'autres universités, notamment américaines.
Il était membre de la British Academy.
Il prit sa retraite d'enseignant en 1969 et mourut le 17 septembre 1994, sans avoir eu le temps de rédiger la préface de son dernier recueil de conférences Toute vie est résolution de problèmes.

Sa pensée[modifier]

Philosophie des sciences[modifier]

Le problème de la démarcation[modifier]

Dans "Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance" (K. Popper. Ed. Hermann) que sont pour Popper le problème de l'induction (ou "problème de Hume"), et le problème de la démarcation (ou "problème de Kant"), l'auteur précise que puisqu'aucune théorie universelle stricte n'est justifiable à partir d'un principe d'induction sans que cette justification ne sombre dans la régression à l'infini, ceci implique, notamment, qu'aucun énoncé de ce genre ne peut être vérifié sur la base d'un dénombrement d'énoncés particuliers.
Il s'ensuit qu'il faut donc considérer l'induction comme un « mythe » dans l'élaboration de toute connaissance objective, et que le passage à un autre mode d'évaluation des théories, devient, par cette voie, logiquement nécessaire : si l'on ne peut évaluer le contenu empirique des énoncés universels stricts de la Science, sur la base de leur sous-classe d'énoncés particuliers « permis » par eux, il est par contre possible de les évaluer à partir de tests permettant de confirmer ou d'infirmer l'occurrence d'un seul de leurs énoncés « interdits », ou, comme l'écrit Popper dans La logique de la découverte scientifique, les « falsificateurs potentiels » des énoncés universels stricts.
Pour Popper, le problème fondamental en philosophie des sciences est donc celui de la démarcation : c'est la question de la distinction entre ce qui relève de la science et ce qui relève de la métaphysique, sachant que pour Popper, son critère de démarcation est avant tout un critère permettant de distinguer deux types d'énoncés : scientifiques et métaphysiques. (D'où, par exemple, son opposition aux thèses du Cercle de Vienne, lesquelles proposaient d'éliminer complètement la métaphysique, « à tous les stades de l'élaboration de la science », alors que Popper défendait l'idée que toute science nécessite, à ses débuts, dans ses engagements ontologiques, des énoncés métaphysiques, lesquels doivent être, soit éliminés « progressivement », soit transformés en énoncés testables).
Pour comprendre ce problème, il s'interroge d'abord sur la place de l'induction dans la découverte scientifique : toutes les sciences[2] sont basées sur l'observation du monde. Comme cette observation est par nature partielle, la seule approche possible consiste à tirer des lois générales de ces observations (remarquons que c'est l'approche générale et fondamentale de tout organisme vivant qui apprend de son milieu). Si cette démarche permet d'avancer, elle ne garantit en aucun cas la justesse des conclusions. Pour Popper, il faut donc prendre au sérieux l'analyse de Hume qui montre l'invalidité fréquente de l'induction.
Par exemple, une collection d'observations (« Je vois passer des cygnes blancs ») ne permet jamais d'induire logiquement une proposition générale (« Tous les cygnes sont blancs »), car la présente observation ne dit rien des observations à venir. Il reste toujours possible qu'une seule observation contraire (« J'ai vu passer un cygne noir ») invalide la proposition générale.
Cette critique de l'induction conduit Popper à remettre en cause l'idée (que l'on attribue un peu rapidement à tous les positivistes) de vérification. Plutôt que de parler de « vérification » d'une hypothèse, Popper parlera de « corroboration », c’est-à-dire d'un test ou d'une séries de tests indépendants mais inscrits dans une tradition de recherche, et qu'une théorie testée aurait passée avec succès. Même par un grand nombre de tests, la corroboration ne permet pas de conclure à la « vérité » d'une hypothèse générale (supposée vérifiée pour toutes les observations jusqu'à la fin des temps). La corroboration, pour Popper, demeure donc une sorte de « vérité relative aux tests », et n'est jamais identifiable à une vérité absolue, ou un déterminisme absolu.
Une proposition scientifique n'est donc pas une proposition vérifiée (avec certitude) - ni même vérifiable par l'expérience (c'est-à-dire par l'intermédiaire de tests scientifiques) -, mais une proposition réfutable (ou falsifiable[3]) dont on ne peut affirmer qu'elle ne sera jamais réfutée. La proposition « Dieu existe » est pour Popper dotée de sens, mais elle n'est pas scientifique, car elle n'est pas réfutable. La proposition « Tous les cygnes sont blancs » est une conjecture scientifique. Si j'observe un cygne noir, cette proposition sera réfutée. C'est donc la démarche de conjectures et de réfutations qui permet de faire croître les connaissances scientifiques.
Il est par ailleurs important de souligner que pour Popper, aucune corroboration, ni même aucune réfutation ne peut être certaine. (Cf. K. Popper, in "Le réalisme et la science". Ed. Hermann), ce qui l'écarte de toute accusation de « falsificationnisme naïf ». La certitude d'une réfutation est impossible parce que les conditions initiales permettant d'échafauder les tests, dépendent, elles aussi, d'énoncés universels, et il est toujours possible de sauver une théorie d'une réfutation, grâce à des stratagèmes ad hoc. Mais ceci, loin d'être un défaut du critère de démarcation de Popper, représente au contraire une possibilité pour continuer la voie de la recherche, en imaginant des tests toujours plus sévères. Ce sont donc toujours en dernier ressort, des « décisions méthodologiques » reconnue par une communauté de chercheurs, qui permettent d'accepter ou de rejeter les résultats d'une corroboration ou d'une réfutation scientifique. Ceci est la raison pour laquelle, Popper précise que son critère de démarcation doit être compris comme étant un « critère méthodologique » de démarcation. (Cf. K. Popper. in "Le réalisme et la science", Ed. Hermann).
Dans cette démarche, la théorie doit donc précéder l'observation[4].
Il rejette cette méthode de l'induction et formule ainsi une critique méthodologique, indépendante de notre capacité à modéliser les raisonnements inductifs, l'induction étant un type de raisonnement courant d'un point de vue cognitif (voir à ce propos le théorème de Cox-Jaynes). Il va lui substituer le principe de la réfutabilité empirique (anglais : falsifiability). C'est ce principe qui va devenir le critère de démarcation entre science et non-science proposé par Popper.
Il peut être ainsi formulé : « Si on entend par énoncé de base un rapport d'observation, une théorie est dite scientifique si elle permet de diviser en deux sous-classes les énoncés de base :»
  • « la classe des énoncés qui la contredisent, appelés falsifieurs potentiels (si ces énoncés sont vrais, la théorie est fausse), »
  • « la classe des énoncés avec lesquels elle s'accorde (si ces énoncés sont vrais, ils la corroborent). »
Le critère de falsificabilité de Popper peut être apparenté dans son principe à un test de falsificabilité bayésien, hormis le fait qu'il travaille uniquement en logique discrète (vrai/faux) tandis que les bayésiens font varier les valeurs de vérité sur une plage continue de l'intervalle ]0;1[.
Le principe de réfutabilité de Popper a été critiqué notamment par Imre Lakatos (1922-1974) et Paul Feyerabend (1924-1994).

Réfuter ou falsifier, une question de vocabulaire[modifier]

L'accès à l'œuvre épistémologique de Karl Popper est compliqué par l'utilisation du mot falsifier (et ses dérivés) pour traduire l'anglais falsify (et ses dérivés). Comme le signale Catherine Bastyns dans sa Note et remerciements de la traductrice de la version partielle de La connaissance objective publiée en 1978 par les Éditions Complexe : « (Le terme falsifier) construit sur un des termes de l'opposition vrai-faux, (…) avait l'avantage de marquer par son étymologie qu'il s'agissait de démontrer la fausseté, et le désavantage de n'être pas recensé au dictionnaire avec cette signification ».
Karl Popper lui a signalé son souhait que « le terme alors en usage (falsifier) soit remplacé par réfuter (et ses dérivés) ». En effet, « ... si en anglais et en allemand, les termes concernés signifient à la fois réfuter et adultérer, en français par contre le terme falsifier n'a que ce dernier sens. Un point intéressant est que, même en anglais, « to falsify » est pour lui le synonyme de « to refute ». »
En pratique, cette recommandation de Popper permet d'éviter une phrase comme « La psychanalyse n'est pas une science car elle est infalsifiable » pour s'en tenir au plus compréhensible « La psychanalyse n'est pas une science car elle est irréfutable ».

Les limites du champ d'application[modifier]

C'est principalement en prenant appui sur des exemples tirés des sciences dites "dures" (physique, chimie, etc.), que Popper démontre le caractère applicable de son critère. (Cf. K. Popper, in "Le réalisme et la science"). En outre, puisque tout projet scientifique consiste, in fine, à établir par des tests des explications des phénomènes étudiés, lesquelles sont exprimables sous la forme d'énoncés universels au sens strict, Popper en vient à proposer l'indiscutable unité de la méthode scientifique. Pour lui, toute vraie science nécessite des énoncés généraux, mais des énoncés réfutables, et par conséquent un certain type de test qui ne peut obéir, logiquement, qu'à des procédures visant à corroborer ou réfuter les théories. On considère souvent qu'un domaine est une science si le corpus des théories qui y sont généralement admises respecte les critères de Popper. En outre, ce caractère scientifique ou non, n'est en rien un indicateur de la vérité scientifique (puisqu'une théorie n'est considérée comme "possiblement" vraie ou proche du vrai que jusqu'à sa réfutation), ni de l'intérêt scientifique : l'histoire des sciences enseigne que beaucoup de théories scientifiques sont nées sur un terreau qui ne respectait pas les critères actuels pour une science.
Le caractère non scientifique d'une théorie est souvent considéré comme synonyme de « sans intérêt scientifique », ce qui sous-entendrait que la science ne se préoccupe que de ce qui est « scientifique », alors que la science tente de codifier, justement, ce qui ne l'est pas (par exemple, voir histoire des sciences). Ceci finit par desservir l'épistémologie et provoquer le rejet de cette théorie par les défenseurs des domaines attaqués. Pour Popper en revanche, la science est "fille de la métaphysique" et celle-ci peut avoir eu de grands mérites heuristiques.
Selon ce critère, l'astrologie, la métaphysique ou la psychanalyse (méthode thérapeutique) ne relèvent pas de la science, puisqu'on ne peut en tirer aucun énoncé prédictif testable et qu'en conséquence, aucune expérience ne permet d'en établir (ou non) la réfutation - et donc une confirmation non plus. En pratique cependant, il n'est pas toujours facile de réfuter une théorie qui échoue à expliquer un fait expérimental, en particulier si on ne dispose pas d'une meilleure théorie. Dans certains cas, deux théories contradictoires peuvent cohabiter, car l'une et l'autre sont soutenues par certains faits et contredites par d'autres, faute d'une meilleure théorie capable d'unifier ces théories contradictoires. La physique, qui est pourtant l'exemple type d'une science gouvernée par l'épistémologie de la réfutabilité, nous donne un bon exemple, avec l'énigme de la précession de Mercure que la mécanique newtonienne ne parvenait pas à expliquer, et qui a été résolue par la théorie de la relativité générale, elle-même entrant ensuite en conflit avec certaines des expériences qui soutiennent la mécanique quantique. Différents auteurs ont défendu qu'une démarche scientifique devait reposer sur l'induction, hors les mathématiques et la logique.

Le cas des sciences humaines[modifier]

Les critères de scientificité de Popper posent problème dans les sciences humaines, où ils sont difficiles voire impossibles à appliquer. En effet :
  • l'expérimentation contrôlée y est la plupart du temps impossible, notamment dans les sciences sociales ; mais c'est le cas aussi en astronomie, paradigme de la science.
  • la comparaison de situations observées n'est pas probante car il est impossible d’être sûr que toutes les conditions sont les mêmes ; mais il faut procéder à des "analyses situationnelles", lesquelles intègrent des généralités de tout ordre.
  • il est difficile de séparer les effets des différentes causes qui interviennent dans les situations observées. Mais ce problème est tout à fait général.
Il en résulte que le critère de réfutabilité n’est opératoire que dans les sciences expérimentales ou d’observation, comme l'astronomie ou l'histoire (observation critique des documents de tous ordres). Cette position est celle du dualisme méthodologique, selon lequel les méthodes applicables aux sciences de la nature d'une part, et celles applicables aux sciences humaines d'autre part, sont différentes. Elle est l'un des fondements de l'École autrichienne d'économie. Popper quant à lui soutient à la fois l'unité méthodologique de toutes les sciences, et la spécificité des sciences humaines, ou un "principe de rationalité" est souvent à l'œuvre.
Popper a donc défendu l'unicité du modèle scientifique. Dans une controverse fameuse avec Theodor Adorno, il défend même l'idée que la sociologie comme science sociale, peut se soumettre à la falsifiabilité. L'ensemble de ce débat est résumé dans un ouvrage : De Vienne à Francfort. La querelle des Sciences Sociales, 1979 (voir à l'intérieur de cet ouvrage la conférence de Popper : « La logique des sciences sociales », et la réponse d'Adorno « Sur la logique des sciences sociales »).
À l'extrême et à des degrés divers, ce problème donne lieu à des controverses autour de domaines tels que la psychanalyse[5] ou l'homéopathie et même l'astrologie. Si ces trois domaines n'offrent aujourd'hui ni preuves expérimentales fiables, ni critères de réfutabilité, il ne peut être totalement exclu que l'évolution technique ou des développements scientifiques futurs changent cet état des choses, ce qui est la règle selon Popper. Malgré tout, ce statut de « non-scientifique » conduit une partie (plus ou moins importante selon le domaine incriminé) de la communauté scientifique à rejeter ces domaines comme des "charlatanismes", surtout si, comme c'est le cas pour l'astrologie, les données disponibles contredisent les thèses des tenants de l'astrologie (cf. le fameux effet mars qui n'a jamais été démontré de façon probante). Mais Popper met en garde aussi contre l'exclusion trop rapide des "charlatans", car il y a des idées fécondes parfois apparemment absurdes.

La critique de l'historicisme : pour une vision indéterministe du monde[modifier]

Les deux ouvrages ouvertement politiques de Popper sont Misère de l'historicisme et La Société ouverte et ses ennemis, écrits tous les deux au titre d'effort de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont pour point focal la critique de l'historicisme et des théories politiques qui en découlent.
Dans la préface à l'édition française (Plon, 1955) de Misère de l'historicisme, Karl Popper explique :
« Qu'il me suffise de dire que j'entends par historicisme une théorie, touchant toutes les sciences sociales, qui fait de la prédiction historique leur principal but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre les « rythmes » ou les « motifs » (patterns), les « lois », ou les « tendances générales » qui sous-tendent les développements historiques. »
Le nœud de son argumentation est la preuve strictement logique qu'il est impossible de déterminer le futur, Popper s'étant attaché à défendre l'indéterminisme. Partant du fait que toutes les théories s'appuyant sur une prophétie ou sur un prétendu cours de l'histoire sont invalides, il critique ainsi particulièrement le marxisme qui ramène toute l'histoire connue à la lutte des classes, ce qui n'est qu'une interprétation féconde parmi d'autres, et surtout prétend prédire la chute du capitalisme et la venue nécessaire du communisme via la dictature du prolétariat. L'ouvrage est dédié « À la mémoire des innombrables hommes, femmes et enfants de toutes les convictions, nations ou races, qui furent victimes de la foi communiste ou fasciste en des Lois Inexorables du Destin de l’Histoire. »
Ce qui devait initialement constituer des notes de Misère de l'historicisme prend petit à petit de la consistance et devient La Société ouverte et ses ennemis. Dans cet ouvrage, Karl Popper tente de montrer comment ce qu'il appelle l'historicisme a conduit aux totalitarismes. Plus particulièrement, il s'attache à critiquer trois philosophes reconnus : Platon, Hegel et Karl Marx. Il leur reproche l'erreur fondamentale de mettre en place des systèmes philosophiques historicistes, centrés sur une loi "naturelle" d'évolution du monde : la décadence des choses réelles chez Platon, le développement de l'Esprit chez Hegel et la lutte des classes conduisant à la société sans classes chez Marx.
Au système historiciste, Popper oppose une philosophie essentiellement fondée sur l'indéterminisme. Cette conception suit celle de son épistémologie, selon laquelle la connaissance progresse par essai/erreur (en) (trial and error ce qui se traduit en français par méthode par essais et erreurs) : pour résoudre un problème donné (le problème est toujours premier), on propose plusieurs hypothèses/solutions qu'il s'agit de tester et on élimine celles qui aboutissent à une erreur. Popper tire de cette conception une position politique et idéologique : comme il est impossible de prédire le cours de l'histoire, il faut progresser petit à petit par essai/erreur, d'où une conception « fragmentaire » des sciences sociales (piecemeal social engineering) dans laquelle rien n'est joué d'avance. Au lieu de prévoir un plan d'ensemble pour réorganiser la société, il s'agit, au contraire, de procéder par petites touches, afin de pouvoir comprendre l'effet de telle ou telle mesure, et d'en corriger les inévitables conséquences inattendues.
Popper reste toutefois ambigu sur ce point car il reste "progressiste" au sens où il témoigne d'une foi dans le progrès des sciences. Il pense que les théories successives progressent vers une approximation de plus en plus fine du réel, ce qui a pu provoquer l'accusation absurde de positivisme à son encontre.

Philosophie politique[modifier]

L'œuvre de Popper ne se limite pas à l'épistémologie. Même s'il s'est toujours refusé à se présenter comme un philosophe politique[6], il n'en reste pas moins qu'il s'est beaucoup attardé sur la politique et notamment sur le fonctionnement de la démocratie.

Une vision politique libérale[modifier]

Les idées politiques de Popper sont donc fondamentalement libérales, comme en témoigne sa participation à la fondation de la Société du Mont Pèlerin au côté de libéraux très engagés comme Ludwig von Mises, Milton Friedman et Friedrich Hayek. Popper propose en effet une vision du monde dans laquelle la liberté de l'homme est fondamentale et doit être protégée. En particulier, dans sa critique du marxisme et de l'historicisme hégélien, il combat une conception du monde dans laquelle l'homme serait impuissant face à la marche de l'histoire. Popper soutient au contraire que les idées influencent le monde et l'histoire, et que l'homme, en particulier les philosophes, ont une importante responsabilité.
Le libéralisme de Popper n'exclut pas l'intervention de l'État, y compris dans le domaine économique. Au contraire, il en fait une condition de l'exercice des libertés des individus, en raison du paradoxe de la liberté :
« La liberté, si elle est illimitée, conduit à son contraire ; car si elle n'est pas protégée et restreinte par la loi, la liberté conduit nécessairement à la tyrannie du plus fort sur le plus faible[7]. »
Aussi l'État a le devoir de limiter la liberté de telle sorte qu'aucun individu ne doit être amené à être aliéné à un autre :
« C'est pourquoi nous exigeons que l'État limite la liberté dans une certaine mesure, de telle sorte que la liberté de chacun soit protégée par la loi. Personne ne doit être à la merci d'autres, mais tous doivent avoir le droit d'être protégé par l'État. Je crois que ces considérations, visant initialement le domaine de la force brute et de l'intimidation physique, doivent aussi être appliquées au domaine économique. […] Nous devons construire des institutions sociales, imposées par l'État, pour protéger les économiquement faibles des économiquement forts[8]. »

Théorie de la démocratie[modifier]

Popper ne distingue que deux types de régimes politiques : la démocratie et la tyrannie[9]. Comme à son habitude, Popper n'attribue pas plus d'importance qu'il n'en faut aux mots ; on ne doit comprendre, par ces deux termes, que des repères terminologiques. Ainsi, ce n'est pas par l'étymologie que Popper va définir la démocratie, qui serait alors le « gouvernement du peuple ».
La question classique depuis Platon « Qui doit gouverner ? » est rejetée par Popper comme étant essentialiste (terme qu'il a inventé, pour celui de "réalisme des universaux"). À ce problème, il propose d'en substituer un plus réaliste : « Existe-t-il des formes de gouvernement qu'il nous faille rejeter pour des raisons morales ? Et inversement : existe-t-il des formes de gouvernement qui nous permettent de nous débarrasser d'un gouvernement sans violence ? »[10].
Sera ainsi qualifié de démocratique, un régime dans lequel les dirigeants peuvent être destitués par les dirigés sans effusion de sang. Tout autre gouvernement dans lequel la destitution des dirigeants ne peut passer que par la violence pourra être qualifié de tyrannique.
Le problème auquel s'attachera Popper sera alors de penser l'organisation de la démocratie de telle sorte que celle-ci permette au mieux la destitution des dirigeants. C'est pourquoi Popper rejette sans appel la démocratie directe et plus tard le scrutin proportionnel. En effet, avec la démocratie directe, le peuple est responsable devant lui-même, ce qui est une contradiction : le peuple ne peut se destituer lui-même. Avec le scrutin proportionnel, la plupart des partis sont nécessairement représentés dans les assemblées dans une plus ou moins grande proportion, quoi qu'il arrive lors des élections, et les partis majoritaires sont alors souvent forcés de devoir gouverner avec eux en créant des coalitions, ce qui signifie en clair que certains partis pourraient toujours participer au pouvoir et ne jamais être destitués[11].
C'est pourquoi la préférence de Popper va à la démocratie représentative avec scrutin majoritaire, et ce en raison de ce qu’il pense être les faiblesses de la démocratie directe et du scrutin proportionnel. De plus, il semble marquer une nette préférence pour le bipartisme[12], où le parti opposant a la charge de critiquer les hypothèses formulées par le parti majoritaire, et inversement. Le système des primaires internes aux partis permet de rajouter une autocritique des hypothèses à l'intérieur même des partis.

Théorie de l'évolution[modifier]

Une épistémologie évolutionniste[modifier]

Selon Popper, la sélection des hypothèses scientifiques relèverait d'une sélection naturelle identique à celle régissant l'évolution des espèces (voir Charles Darwin). Théorie de la vie et théorie de la connaissance répondraient ainsi d'un même processus de progression par essai et élimination de l'erreur (une position assez proche de celle d'Erwin Schrödinger). C'est pourquoi l'on parle d'épistémologie évolutionniste[13].
En montrant les analogies existant entre l'évolution des espèces et le développement de la connaissance scientifique, Popper « naturalise » ce faisant les principes fondamentaux de son épistémologie :
1. Le rejet de l'induction : Selon Popper, « la théorie vient avant les faits » : les hypothèses précèdent et orientent l'observation. De même, lorsqu'ils varient, les organismes vivants créent de nouvelles théories sur le monde, de nouvelles hypothèses, que Popper nomme des « attentes » et qui s'assimilent aux théories scientifiques. Seules seront retenues celles qui correspondent à une réalité de l'environnement, celles que l'expérience, la confrontation au milieu ne réfute pas. Par exemple, en augmentant leur vitesse de déplacement et leur réactivité face au danger, les antilopes ont « théorisé » la nécessité de pouvoir fuir rapidement, notamment pour échapper à leurs prédateurs. Schématiquement, les antilopes actuelles descendent donc de celles qui, par le passé, ont su courir assez vite pour échapper aux lions. Elles ne l'ont bien sûr pas fait de manière consciente (voir Konrad Lorenz et l'imprégnation). C'est à travers les modifications héréditaires, les mutations génétiques, que le vivant « essaie » différentes adaptations à l'environnement, différentes « solutions » - qui génèrent à leur tour de nouveaux problèmes, dans une course au perfectionnement que Popper explique notamment à travers l'hypothèse d'un dualisme génétique.
2. L'élimination de l'erreur : Sélection naturelle darwinienne et sélection naturelle des hypothèses sont identiques dans la mesure où toutes deux mènent à l'élimination de l'erreur. La seule différence résidant entre Albert Einstein et une amibe est ainsi, selon Popper, que le premier est capable d'« extérioriser » son erreur à travers le langage, tandis que la seconde est condamné à disparaître avec elle. Une erreur de calcul ne coûtera pas la vie à Einstein. Une erreur d'adaptation pour l'amibe, si.
3. La résolution de problèmes : En procédant par élimination de l'erreur, la démarche scientifique, tout comme l'évolution, permet de résoudre des problèmes qui, la plupart du temps, n'apparaissent tout à fait clairement qu'une fois résolus. Dans le cas des espèces vivantes, par exemple de l'amibe, ces problèmes doivent être « objectifs » puisque cette dernière n'est pas consciente. La résolution de ces problèmes mènent à des niveaux de connaissance et d'évolution supérieurs - en ce qui concerne la biologie à l'émergence de « formes de vie plus hautes ».
Ainsi, en se basant sur une série d'analogies visant peut-être à fonder ontologiquement le falsificationisme, Popper estime que « la science » est une activité biologique, en ce qu'elle ressemble à un processus de sélection naturelle, fût-il conscient et orienté.
Ce schéma de sélection naturelle s'articule en trois temps. Soit :
  • P1 : Problème initial ;
  • TS : Essai de solution (tentative solution en anglais) ;
  • EE : Élimination de l'erreur ;
  • P2 : Nouveau problème.
P1→TS→EE→P2
Un problème initial amène la production d'hypothèses visant à le résoudre (de P1 à TS). Ces hypothèses sont testées par le moyen de l'expérimentation scientifique (de TS à EE). Enfin, la résolution du problème P1 entraîne l'émergence d'un nouveau problème P2. La logique de la science tout comme celle de la vie répondent, selon Popper, de ce schéma tétradique.

Le statut épistémologique de la théorie darwinienne[modifier]

Popper a soutenu que la théorie de l'évolution darwinienne par sélection naturelle n'était pas véritablement scientifique, car irréfutable et quasi tautologique. En effet, cette théorie énonce que si une espèce survit c'est parce qu'elle est adaptée, et on sait qu'elle est adaptée car on constate sa survie. Il la qualifia ainsi de « programme de recherche métaphysique », ce qui suscita certaines polémiques, parfois très vives. Les créationnistes tentèrent notamment d'utiliser les thèses poppériennes pour discréditer la théorie de l'évolution. Le philosophe finit par rectifier ces interprétations dans une lettre adressée au magazine scientifique The New Scientist. Ultimement, il reconnut à la théorie de la sélection naturelle le statut de science véritable : il l'estimait entre autres capable d'expliquer les multiples processus de « causation vers le bas ». Une position que sa propre métaphysique évolutionniste ne pouvait que renforcer.[réf. nécessaire]

Métaphysique des trois mondes[modifier]

Au contraire des néo-positivistes du Cercle de Vienne, Popper n'oppose pas la science à la métaphysique. Il a lui-même élaboré une métaphysique mêlant réalisme, indéterminisme et évolutionnisme.
Au cœur de cette métaphysique poppérienne, on trouve « la théorie des Mondes 1, 2 et 3 » :
  • Le « Monde 1 » est celui des phénomènes physico-chimiques. « Par « Monde 1 », j'entends ce qui, d'habitude, est appelé le monde de la physique, des pierres, des arbres et des champs physiques des forces. J'entends également y inclure les mondes de la chimie et de la biologie »[14].
  • Le « Monde 2 » est celui de la conscience, de l'activité psychique essentiellement subjective. « Par « Monde 2 » j'entends le monde psychologique, qui d'habitude, est étudié par les psychologues d'animaux aussi bien que par ceux qui s'occupent des hommes, c'est-à-dire le monde des sentiments, de la crainte et de l'espoir, des dispositions à agir et de toutes sortes d'expériences subjectives, y compris les expériences subconscientes et inconscientes. »[14]
  • Le « Monde 3 » est celui de la connaissance objective (des « contenus de pensée » ou « idées »). « Par « Monde 3 », j'entends le monde des productions de l'esprit humain. Quoique j'y inclue les œuvres d'art ainsi que les valeurs éthiques et les institutions sociales (et donc, autant dire les sociétés), je me limiterai en grande partie au monde des bibliothèques scientifiques, des livres, des problèmes scientifiques et des théories, y compris les fausses. »[14]
Ces différents « mondes » exercent les uns sur les autres un contrôle plastique, rétroactif. Mais si les deux premiers sont communs aux animaux et aux hommes, le troisième est exclusivement humain car directement lié à l'émergence d'un langage argumentatif. Par ailleurs, le « Monde 3 » possède une autonomie partielle (« La réalité et l'autonomie partielle du Monde 3 »). Popper : « Cela vient principalement du fait qu'une pensée, dès qu'elle est formulée en langage, devient un objet extérieur à nous-mêmes ; un tel objet peut alors être critiqué inter-subjectivement : par les autres aussi bien que par nous-mêmes. »[15]. Popper dit lui-même reprendre à Frege cette idée d'un troisième monde, tout en la modifiant.

Les quatre fonctions du langage[modifier]

Aux trois fonctions du langage distinguées par son ancien professeur viennois Karl Bühler, Popper en ajoute une quatrième : la fonction argumentative. Ces 4 fonctions sont les suivantes :
  1. la fonction expressive ou symptomatique, où l'animal exprime une émotion, par exemple un cri de douleur ;
  2. la fonction de signal, par laquelle l'animal fait passer un message, par exemple par un cri d'alerte ;
  3. la fonction de description, par laquelle l'être doué de langage articulé peut décrire à autrui quelque chose, par exemple le temps qu'il fait ;
  4. la fonction de discussion argumentée, qui permet à l'homme de discuter rationnellement en exerçant ses facultés critiques, en « argumentant », par exemple lorsqu'on débat d'un problème philosophique.
Au développement de ces fonctions du langage est corrélée l'émergence des différents « Mondes » poppériens. En particulier, le « Monde 3 » apparaît avec la quatrième fonction du langage, et se développe à partir de la troisième.
Tout comme pour les « Mondes 1, 2 et 3 », Popper estime que les quatre fonctions du langage exercent les unes sur les autres un « contrôle plastique ».

Le dualisme néo-cartésien de Karl Popper[modifier]

Par analogie, Popper affirme pouvoir résoudre le principal problème de la philosophie de l'esprit, celui de la relation corps/âme. L'âme exercerait un « contrôle plastique » sur le corps : par exemple, lorsque je me tiens debout, les muscles de mes jambes sont agités d'infimes et indétectables mouvements musculaires visant à assurer la stabilité. L'âme corrige l'équilibre du corps en éliminant les mouvements non appropriés : elle exerce sur lui un « contrôle souple ou plastique ».
Ainsi, Popper s'est posé en défenseur du dualisme et plus précisément de l'interactionnisme. Il estimait en outre que l'hypothèse de René Descartes selon laquelle le lieu de cette interaction se situerait dans l'épiphyse (ou glande pinéale) n'est pas si inepte et improbable que les générations postérieures l'ont laissé entendre[16]. Mais selon lui, l'esprit n'est pas une substance immatérielle, mais un processus émergent, semblable à une force ou à un champ.

Distinctions et honneurs[modifier]

Œuvres[modifier]

  • Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance (titre original : Die beiden Grundprobleme der Erkenntnistheorie, 1930-1933). Note de l'éditeur, Hermann : « Loin d'être une simple esquisse - bien au contraire, puisque la célèbre « logique de la découverte scientifique » n'en était à l'origine qu'un résumé - , cette première formulation du falsificationnisme poppérien anticipe certaines idées qui ne réapparaîtront que bien plus tard. »
  • Logique de la découverte scientifique (titre original : Logik der Forschung, Logique de la recherche ; The Logic of Scientific Discovery, 1934)
  • Misère de l'historicisme (The Poverty of Historicism, 1944-1945)
  • La Société ouverte et ses ennemis (The Open Society and Its Enemies, 1945) ; la traduction française est un résumé.
  • Conjectures et réfutations (Conjectures and Refutations: The Growth of Scientific Knowledge, 1963)
  • La connaissance objective (Objective Knowledge: An Evolutionary Approach, 1972) ; traduction partielle de l'anglais (trois premiers chapitres), 1977, Éditions Complexe, (ISBN 978-2-87027-020-2) ; traduction complète de Jean-Jacques Rosat, Éditions Aubier, 1991.
  • La quête inachevée (Unended Quest; An Intellectual Autobiography, 1976)
  • La Télévision, un danger pour la démocratie (1995)
  • La Leçon de ce siècle, (1993)
  • The Self and Its Brain: An Argument for Interactionism, (1977) [coécrit avec le neurophysiologiste John Carew Eccles].
  • The Open Universe: An Argument for Indeterminism, (1982)
  • Realism and the Aim of Science, (1982); trad. Hermann 1990.
  • The Myth of the Framework: In Defence of Science and Rationality, (1994)
  • Knowledge and the Mind-Body Problem: In Defence of Interactionism, (1994)
  • Toute vie est résolution de problèmes, 2 tomes, (1997).
  • Un univers de propensions : deux études sur la causalité, L'Eclat, (1992).

Citations[modifier]

Sur les autres projets Wikimedia :
  • « Une théorie qui n'est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. » (Conjectures et réfutations, ch.1, section 1)
  • « Le succès de Hegel marqua le début de « l'âge de la malhonnêteté » (ainsi que Schopenhauer décrivait la période de l'idéalisme allemand) et de « l'âge de l'irresponsabilité » (ainsi que K. Heiden qualifiait l'âge du totalitarisme moderne) ; d'une irresponsabilité d'abord intellectuelle puis, ce fut l'une de ses conséquences, d'une irresponsabilité morale ; d'un nouvel âge régi par la magie des mots éclatants et par le pouvoir du jargon. » (La société ouverte et ses ennemis, ch.12)
  • « Libéralisme et intervention de l'État ne sont pas contradictoires ; aucune liberté n'est possible si l'État ne la garantit pas. » in La Société ouverte et ses ennemis (1962)
  • « Cette vague et intangible entité qu'on appelle opinion publique révèle parfois une lucidité sans sophistication ou, plus habituellement, une sensibilité morale supérieure à celle du gouvernement en place. Néanmoins, elle représente un danger pour la liberté si elle n'est pas limitée par une forte tradition libérale. En tant qu'arbitre du goût, elle est dangereuse ; en tant qu'arbitre de la vérité, elle est inacceptable. » (Conjectures et réfutations, ch.17, section 8)
  • « Les intellectuels ne savent rien » dira-t-il à 83 ans dans sa conférence de Zurich La recherche de la paix (Toute vie est résolution de problème). Plus qu'une provocation, c'est un symbole de la relativité du savoir, et de la stérilité des conflits de doctrines.
  • « Le seul moyen d’accéder à la science, c’est de rencontrer un problème, d’être frappé par sa beauté, d’en tomber amoureux, de lui faire des enfants problèmes, de fonder une famille de problèmes. » (Le réalisme et la science, p. 28)

Notes[modifier]

  1. Aujourd'hui (en) Department of Philosophy, Logic and Scientific Method [archive]
  2. à l'exception des mathématiques et de la logique qui sont des constructions déductives sur des bases axiomatiques qu'elles choisissent arbitrairement.
  3. Conscient du sens courant du mot « falsifiable » (et ses dérivés) en français, Karl Popper, dans la préface d'un de ses livres (en français), demande d'utiliser à la place « réfutable » et les mots apparentés « réfuter » et « réfutation ».
  4. Évidemment, comme celui qui énonce une théorie fait partie du monde, il est loisible de soupçonner que la théorie a en fait été inspirée par des observations. Mais ce serait faire un raisonnement métaphysique, puisqu'il suppose une régression à l'infini de type psychologiste. En réalité, dans l'histoire des sciences, une nouvelle théorie n'apparaît jamais ex nihilo par le hasard des observations d'un passant… mais toujours par opposition à une théorie déjà établie.
  5. Roger Perron :Une psychanalyse est-elle réfutable ? in Revue française de psychanalyse, 2008/4 vol 72, p. 1009-111
  6. Jean Baudoin, La philosophie politique de Karl Popper, PUF
  7. in La société ouverte, ch.12, section 2
  8. in La société ouverte, ch.17, section 3
  9. Popper, La société ouverte et ses ennemis
  10. Popper, Etat paternaliste ou Etat minimal
  11. Popper, La leçon de ce siècle
  12. Baudoin, La philosophie politique de Karl Popper
  13. Karl Popper, "Vers une théorie évolutionniste de la connaissance", dans Un univers de propensions, Editions de l'Eclat, coll. « Tiré à part », 1990
  14. a, b et c Karl R. Popper in : L'univers irrésolu, plaidoyer pour l'indéterminisme, édition Hermann, 1984, page 94
  15. Ibid, page 97
  16. Toute vie est résolutions de problèmes : Questions autour de la connaissance de la nature, Actes Sud, 1997, p. 82-83.
  17. London Gazette : n° 43592, p. 2239 [archive], 05-03-1965
  18. London Gazette : n° 49008, p. 5 [archive], 12-06-1982
  19. (en) Fiche sur le site de la British Academy [archive]
  20. (en) [PDF] List of fellows of the Royal Society, 1600-2007. K-Z [archive]

Voir aussi[modifier]

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Bibliographie[modifier]